Au nom de l’Évangile et de Jésus, je ne peux me taire devant notre égoïsme, mais que faire ?

7 septembre 2015

Devant une telle photo, je m’interroge : “Allons-nous tendre la main à nos frères pour leur permettre de retrouver leur dignité d’homme et un chemin de vie ou allons-nous continuer à nous enfermer dans le scandale de notre égoïsme ?”

Je voudrais reprendre les propos de mon frère l’évêque de Gap et d’Embrun et dire à mon tour combien j’ai honte de mon pays, la France, qui à plus de 50% de sa population refuse l’accueil des migrants, combien j’ai honte de certains politiques qui tiennent des propos inqualifiables lorsqu’ils parlent de « ces gens-là ! » comme ils les désignent avec mépris, combien j’ai honte des chrétiens qui semblent ignorer cette tragédie des migrants et surtout se refusent à perdre les avantages acquis de leur niveau de vie, combien j’ai honte de notre génération qui refuse de reconnaître que notre continent récolte aujourd’hui ce qu’il a semé hier !

Durant ces derniers mois, les médias se sont focalisés pendant des jours et des jours sur la situation des migrants à Calais. Les autorités françaises sont prêtes à tout pour assurer l’étanchéité du tunnel sous la Manche. Les autorités britanniques investissent près de dix millions d’euros pour aider la France dans ses efforts pour qu’aucun migrant ne puisse passer en Grande-Bretagne. Des manifestants britanniques ont même parlé de « cafards » pour désigner ces hommes, ces femmes et ces enfants qui sont prêts à tout pour passer en Angleterre, quel scandale !

Toujours ces derniers mois, aux alentours de Vintimille, des migrants chaque jour plus nombreux essayaient de passer en France en vue de rejoindre Calais et l’Angleterre. La police aux frontières était prête à tout pour les en empêcher sous les yeux de leurs collègues italiens qui eux souhaitaient se libérer de ces foules venues de l’autre côté de la Méditerranée pour survivre. Lampedusa demeure présente dans toutes les mémoires, mais personne ne sait que faire !

En France, les autorités nationales et municipales ne savent plus que faire. Elles ont toutes mauvaise conscience devant ces foules qui cherchent à entrer dans notre pays dans l’espoir d’être reconnues comme réfugiés politiques. En même temps, régulièrement la presse rapporte les expulsions qui se succèdent à rythme régulier car ni les unes ni les autres ne veulent de ces étrangers qui nous dérangent et que nous ne sommes pas prêts à accueillir comme des frères. Mais nous-mêmes, sommes-nous prêts à accueillir ces réfugiés politiques qui fuient désespérément leur pays sans avenir sinon la mort ?
Si la Méditerranée pouvait parler, elle nous dirait le nombre de cimetières qui peuplent ses fonds sous-marins et dont les organismes onusiens évaluent le nombre de victimes à plusieurs milliers depuis le début de cette année. Comment ne pas avoir le cœur déchiré devant tant de souffrances et tant d’injustices ? Autrefois, au large du Vietnam, les marines nationales cherchaient à rejoindre les boat-people pour sauver ceux qui cherchaient à fuir leur pays ; aujourd’hui, les uns et les autres attendent de recevoir des signaux de détresse pour rejoindre des embarcations en train de couler et sauver éventuellement ceux qui ne sont pas encore morts.

Les chiffres les plus fous courent sur le nombre de migrants qui ont rejoint nos côtes depuis le début de cette année - plus de 178 000 personnes en restant raisonnable - et les chiffres s’accélèrent et gonflent de jour en jour. Certes, pour certains, les candidats à la migration représentent une manne importante prête à verser des milliers d’euros à quiconque leur propose de passer dans l’espace Schengen et éventuellement même jusqu’en Grande-Bretagne, le pays de cocagne qui les fascine.
Les projets les plus fous sont échafaudés pour mettre fin à de telles folies : lutter contre tous les passeurs véreux, mettre en place un véritable mur maritime face à la Libye ou à tout autre pays du Sud. En même temps, aucun mur ne saurait arrêter celui qui est désormais sans espoir et sans avenir. Je garde en mémoire ce mur au nord du Maroc qui était censé retenir les grappes humaines qui n’avaient qu’un espoir : passer au Nord. Tous ces gens viennent du continent africain en pleine décomposition, du Moyen-Orient en pleine ébullition, en pleine guerre. La troisième guerre mondiale est désormais véritablement commencée.

En juillet, j’ai été prêcher la retraite des prêtres du diocèse de Bukavu en République Démocratique du Congo. Plus de quatre-vingt-dix prêtres étaient là, heureux de faire une pause dans leur ministère, de s’arrêter pour s’asseoir aux pieds de Jésus et se mettre à son écoute. Pendant ce temps, je ne pouvais pas ne pas voir comment la RDC, un des pays les plus riches du monde grâce à un sous-sol regorgeant de minerais en tout genre, véritable richesse du pays, continue de s’enfoncer dans un sous-développement chronique et endémique. Les groupes armés demeurent actifs ; l’État islamique ou un ersatz du même genre a ouvert un camp d’entraînement dans les collines. Depuis des années, les « forces » de l’O.N.U., soi-disant présentes pour assurer le maintien de la Paix, demeurent incapables de répondre aux raisons mêmes de leur présence sur le terrain. En revanche, certains contingents, comme le Pakistan pour avoir le courage de le nommer, se sont donnés pour mission de répandre l’Islam partout où ils passent. De même, loin d’assurer la paix, ces mêmes troupes de l’O.N.U. maintiennent un fragile équilibre où la corruption règne en maîtresse incontestée.

Le 15 août, nos cloches ont retenti pour nous inviter à prier la Vierge Marie, elle qui fait tomber les murs. Mais aujourd’hui, que faisons-nous alors que l’État Islamique et Boko Haram continuent à semer la terreur au Moyen-Orient comme en Afrique ? Devant ces tragédies qui déchirent notre humanité, ne faudrait-il pas descendre dans les rues pour qu’enfin nos politiques prennent conscience de la situation et réalisent que la question n’est plus seulement d’accueillir les dizaines de milliers de migrants qui fuient leur pays où règne la mort, mais de se demander que faire pour que la vie redevienne possible et viable au Moyen-Orient comme sur le continent africain !

Devant un tel constat, comment ne pas repenser à la situation qui était celle de l’Europe à la fin de la deuxième Guerre mondiale, un continent ravagé par la guerre et toutes ses séquelles ? À l’époque, les autorités internationales avaient eu le courage et la force de mettre en place un plan “Marshall” d’aide économique à l’Europe dévastée. Aujourd’hui, pourquoi n’aurions-nous pas le courage de mettre en place un nouveau plan Marshall pour l’Afrique et le Moyen-Orient, afin de permettre à l’Afrique de sortir de son sous-développement chronique et de s’affronter à son avenir riche de toutes ses potentialités, et au Moyen-Orient de prendre conscience qu’il n’y a pas d’autre solution que de vivre ensemble sur cette terre qui regorge de richesses pour le bien de tous ?
L’Europe elle-même sortirait grandie d’un tel projet, car son agriculture comme son industrie pourraient retrouver un vrai développement pour soutenir l’Afrique et le Moyen-Orient et les préparer à assurer leur propre développement dans l’avenir.
Alors et alors seulement, nous ne verrions plus nos propres dirigeants s’enfermer dans une logique sans fin en espérant contenir cette poussée venue du Sud au prix de millions d’euros. Pour mettre fin à tous ces mouvements migratoires, la seule solution est de permettre à nos frères d’Afrique et du Moyen-Orient de développer leur propre continent. Il regorge de richesses qui, mises en valeur, devraient leur permettre de trouver leur place dans le concert des nations pour le bien de tous. Il reste cependant à s’interroger sur les moyens à mettre en œuvre pour mettre fin à Boko Haram et à l’État « dit islamique » qui ne sauraient en rien être représentatifs de nos frères musulmans.

Je vous l’avoue, depuis des mois je suis tourmenté par ces visages de migrants qui peuplent la brousse des périphéries de Calais, par cette folie qui consiste à penser qu’il sera possible de contenir ces foules dont le seul désir est de survivre, par tout ce que j’ai vu à Bukavu comme dans l’Est de la R.D.C., et enfin par notre indifférence, intéressée seulement à ne perdre aucun des avantages acquis. Puisse le cadavre de ce petit enfant nous obliger à ouvrir nos yeux et à faire la vérité.

Demain, comme le demande le pape François, j’écrirai aux paroisses et aux communautés pour savoir si elles sont prêtes à accueillir chacune une famille de migrants, je contacterai le Préfet d’Avignon pour envisager avec lui les modalités de venue de ces familles tout en lui demandant quelle perspective est entrevue pour une prise en charge à moyen terme, je prendrai contact avec les services de la Conférence des Évêques de France pour coordonner avec eux nos efforts.

Mais si nous ne sommes pas capables de regarder la situation réelle des pays que viennent de quitter tous ces migrants, pour nous demander comment intervenir pour changer ces situations de guerre et de misère, alors je continuerai à avoir honte ! Oui, chrétiens réveillons-nous, nous ne pouvons continuer à vivre en ignorant que le reste du monde agonise à nos portes.

Avignon le lundi 7 septembre 2015

 + Jean-Pierre Cattenoz,
 archevêque d’Avignon

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