L’Église Mère et Éducatrice

7 avril 2017

Bloc-Notes, avril 2017

Dans la lumière de Pâque, l’Église s’apprête à enfanter de nouveaux enfants, mais comment rendre compte de la nature même de cet enfantement avec nos mots d’aujourd’hui  ?

L’image du don de la vie nous guidera. A la source de toute vie, il y a d’abord un amour qui a soif de se donner, de se répandre, de se communiquer. L’homme et la femme se donnent l’un à l’autre et de leur amour jaillira la vie selon un processus très complexe. En effet, pour enfanter, il faut une fécondation, une gestation et une naissance.
Il en sera de même pour la Mère Église dans sa mission maternelle  ; elle connaîtra elle aussi, dans la lumière de l’amour de Dieu, un processus similaire : fécondation, gestation et naissance.

Mais attention, tout n’est pas fini à la naissance, un nouveau-né reste un être très fragile, il a besoin d’être entouré de beaucoup d’amour, de beaucoup de soins et en réalité, s’il faut au moins vingt ans pour faire un homme, il en est de même pour faire un enfant de Dieu  !

Tout commence par l’amour de la Mère Église qui s’exprime comme au matin de la Pentecôte. Rempli de l’Esprit Saint, l’Esprit d’Amour, les premiers chrétiens proclament les merveilles de Dieu, ils transpirent l’amour de Dieu et les gens se rassemblent puis Pierre, au nom de tous les autres apôtres prend la parole et proclame le kérygme : nous étions morts à cause de nos fautes, mais dans son amour le Père nous a donné son Fils qui a pris sur lui le péché des multitudes, le péché de chacun de nous  ; il est mort sur la Croix pour faire mourir en nous le péché et dans la lumière du matin de Pâque, il nous entraîne avec lui et en lui dans une vie nouvelle. Ce n’est plus moi qui vit, c’est le Christ qui vit en moi  ! Alors les Actes des Apôtres nous disent : «  D’entendre cela, ils eurent le cœur transpercé et dirent aux apôtres : “Frères, que devons-nous faire  ?”  »

La fécondation est le fruit de la Parole de Dieu reçue dans un climat de louange et qui vient transpercer le cœur de l’homme sous l’action de l’Esprit Saint pour permettre à l’Amour divin d’entrer dans le cœur de l’homme qui viendra alors nous trouver et nous dira comme à Pierre autrefois : «  Frères, qu’est-ce que je dois faire pour vivre en chrétien  ?  »

Pour avoir accompagné des milliers de “pré-catéchumènes” dans la cadre de ma mission au Tchad, je peux témoigner de ce cheminement : des séminaristes annonçaient Jésus-Christ chaque dimanche à tous ceux qui demandaient à devenir chrétien, après quelques mois de première annonce, bien des personnes venaient leur dire : “Frères, que dois-je faire pour vivre en chrétien  ?” D’autres n’étaient absolument pas touchés par la parole de Dieu et en général arrêtaient progressivement de venir. Les premiers venaient de franchir l’étape de la fécondation et pouvaient entrer en catéchuménat. Ils étaient prêts.

Durant le catéchuménat, la Mère Église porte en son sein ses futurs enfants, ce temps de gestation correspond à l’apprentissage de la vie en Christ, de la vie dans la famille Église. Il s’agit véritablement d’entrer dans une vie nouvelle, de se laisser façonner par cette vie nouvelle, la vie en Christ. Le catéchumène expérimente cette vie qui consiste à se laisser habiter et conduire par l’Esprit Saint. Il doit vivre un véritable changement de vie qui ne va pas de soi, qui n’est pas évident. La Mère Église représentée par la communauté paroissiale, et non pas seulement une ou deux personnes, accompagne chacun dans son cheminement qui le fait passer de la mort à la vie, de la mort du péché à la vie que le Christ nous offre et qui exige un changement radical qui s’ancre dans l’amour et permet à la présence divine d’envahir progressivement le nouveau converti. Il expérimente déjà la puissance de la foi, de l’espérance et de la charité alors même qu’ils ne recevront en plénitude ces germes de vie divine qu’à travers les sacrements de l’initiation. Ce “devenir enfant de Dieu” demande du temps, la gestation d’un enfant de Dieu aux premiers siècles de l’Église demandait habituellement deux ou trois ans. Les communautés chrétiennes ont une mission importante, celle même de participer à la maternité de l’Église en formant, en éduquant car il ne s’agit pas d’apprendre une doctrine ou de recevoir un enseignement, mais d’apprendre à vivre en Christ et en Église, dans l’amour. En réalité, le catéchumène doit accepter de renoncer à lui-même, de se décentrer de lui-même pour laisser le Christ devenir le cœur, le centre de sa vie. Il ne s’agit pas d’acquérir un savoir ou tout autre chose, mais d’accepter de se recevoir du Père dans le Fils au souffle de l’Esprit.

Comme le dit saint Paul dans la lettre aux Éphésiens, de toute éternité notre vocation est de devenir fils dans le Fils bien-aimé qui n’a rien, mais qui reçoit tout de son Père éternellement. Il nous faut accepter de tout recevoir du Père comme des petits enfants qui savent bien qu’ils ne peuvent rien par eux-mêmes, mais qui ont une confiance totale dans leur maman et leur papa. Ainsi, le catéchumène dans le sein de la Mère Église déploie progressivement toutes les richesses de cette vie nouvelle, mais dans une dépendance totale de la Mère Église qui les nourrit de sa propre chair et les préparent à cette vie qui va devenir la leur, fils dans le Fils.

Durant toute cette période de gestation, les chutes, les rechutes sont nombreuses, les combats sont fréquents, car “le monde” ne lâche pas facilement ses proies. L’accompagnement des catéchumènes est une mission importante pour la Mère Église. Mais en même temps, quelle joie de voir la grâce à l’œuvre dans les cœurs, quelle joie d’entrevoir l’Esprit Saint à l’œuvre.

Nos Pères dans la foi nous invitent à laisser Dieu agir durant ce long temps de gestation, à lui laisser le temps de refaçonner ses enfants défigurés par le péché, à la manière du potier. Progressivement, nous sommes les témoins émerveillés de l’œuvre de Dieu, de sa tendresse, de sa délicatesse, de la puissance de son amour à l’œuvre dans les cœurs.

Ensuite vient le temps de la naissance à la vie divine par les sacrements de l’initiation chrétienne, par ces signes à travers lesquels Dieu agit pour greffer en nous sa propre vie divine, pour mettre en place ce qui permettra à l’Esprit Saint d’agir quand et comme il voudra pour venir au secours de notre faiblesse et nous permettre de déployer toute la richesse de cette vie divine pour laquelle nous sommes tous faits.

Enfin, après le baptême et la confirmation, vient le temps des noces, oui, le temps des noces, dans l’eucharistie. Nous sommes là au sommet de l’initiation chrétienne, le nouvel enfant de Dieu peut s’écrier avec Paul : “Ce n’est plus moi qui vit, c’est le Christ qui vit en moi  !” ou encore “Pour moi, vivre c’est le Christ  !” Chacun vit ainsi en lui les noces de sa nature et de la grâce tout en réalisant que cette vie nouvelle ne se vit pas de manière individuelle, mais leur donne d’entrer dans le Corps du Christ, découvrant la richesse de la grande fraternité en Christ, la grande richesse du Corps du Christ. Chacun expérimente toute la complémentarité, la solidarité qu’entraîne notre appartenance au Corps du Christ.

Mais attention, au matin de Pâque, les nouveaux baptisés ne sont encore que des nouveau-nés et le drame de nos paroisses est de voir ces nouveau-nés abandonnés à eux-mêmes, ce que ne ferait jamais une mère avec son enfant nouveau-né. En réalité, il est absolument nécessaire que la Mère Église accompagne ses enfants bien au-delà de leur naissance en veillant sur leur croissance personnelle et en Église. L’Église est tout à la fois, Mère et Éducatrice et il lui faut remplir cette double mission auprès de ses enfants.

Chaque année, j’ai la joie de rencontrer tous ceux qui vont vivre leur naissance d’enfant de Dieu et je demande à chacun de nous partager la manière dont Dieu s’y est pris pour les rejoindre et les convertir. Dieu n’est pas à court d’idées  ! Et nous en sommes les témoins émerveillés. J’inviterais bien volontiers pour finir tous les chrétiens à découvrir et à prendre part à cette si belle mission de l’Église d’être Mère et Éducatrice. Cette expérience sera pour eux un merveilleux chemin de conversion qui leur permettra de revisiter leur propre enfantement à la vie divine et de laisser à l’Esprit Saint la joie de les embraser au feu de son Amour divin pour embraser à leur tour leurs frères.


+ Jean-Pierre Cattenoz, archevêque d’Avignon