Je reviens d’Irak

6 mars 2017

Bloc-notes, mars 2017

Mes yeux et mon cœur sont remplis de tout ce que je viens de vivre en Irak, cinq jours à Erbil et deux jours à Baghdad avec pour seul but d’ouvrir mes yeux, mes oreilles et mon cœur. 

A peine arrivé à Erbil, je suis à l’écoute du Père Emmanuel dans un camp de réfugiés chrétiens avec les petites sœurs de Jésus qui partagent la vie des réfugiés leur apportant leur prière et leur joie. Chaque famille a un petit bungalow de deux pièces avec au centre une douche, un wc et un lavabo, dans une des pièces un coin cuisine. Ils sont là dans la promiscuité, sans travail, sans perspective d’avenir et souvent sans espérance. Dans le camp quelques petits commerces et surtout une Église en préfabriqué où tous aiment à se retrouver. Tous sont totalement dépendants, ils n’ont plus rien, ils ont fui leur village depuis plus de deux ans, mais ils nous accueillent à leur table et nous partagent tout ce qu’ils ont.

A l’autre bout de la ville, un supermarché immense qui avait deux étages vides : le propriétaire a accepté de les mettre à la disposition des réfugiés, un médecin a décidé de se mettre au travail, il a retroussé ses manches pour y préparer des petits appartements de deux pièces et tout est plein, deux prêtres partagent la vie des familles au cœur de ce camp. Des sœurs dominicaines vont s’installer dans le bout d’une aile pour s’occuper des enfants. Quelle joie de voir ainsi ce médecin, à partir de rien créer ce camp et y mettre la vie.

En taxi nous sommes partis pour Kirkouk avec un journaliste, arrêt à mi-route pour visiter un camp de 22500 personnes, des musulmans, mis en place par le croissant rouge des Émirats arabes unis, une partie du camp fait de tentes accueille les nouveaux arrivants et quand tout est plein, ils créent une extension du camp en dur, toujours sur le même principe de bungalows de deux pièces pour six ou huit personnes. Le camp est propre, bien tenu, un syrien rayonnant de paix en assure la direction. Il nous explique les distributions de nourriture, de kérosène pour se chauffer et d’un peu d’argent pour acheter quelques vêtements pour se couvrir, il fait prêt de zéro degré la nuit et dix ou quinze degrés dans la journée. Quelle joie de voir de tels hommes qui rayonnent la paix et la transmettent à tous  !

A Kirkouk, rencontre avec les étudiants et étudiantes pris en charge par l’évêque avec entre autres l’aide de la Conférence des Évêques de France. 660 étudiants sont ainsi pris en charge dans des maisons pour venir suivre les cours de la faculté de Mossoul reconstituée à Kirkouk. Il y a des maisons de filles et d’autres de garçons, deux groupes se succèdent chaque semaine trois jours, la faculté donnant les cours en double chaque semaine pour permettre à un maximum de jeunes de poursuivre leurs études. Ils viennent pour beaucoup d’Erbil pour trois jours, à 5 ou 6 jeunes par chambre. Ils prennent tout en charge, ils font plaisir à voir car ils portent sur leur visage leur désir de lutter pour se former et participer à la reconstruction de leur pays. Trois jeunes femmes nous ont racontés comment elles ont été miraculeusement sauvées de Daech. Elles étaient sept dans une des maisons quand quatre terroristes se sont repliés et enfermés dans leur maison. Elles se sont cachées dans un placard et sont entrées par sms avec l’homme qui s’occupait de la gestion de toutes les maisons d’étudiants.
Il était à l’hôpital pour des soins, mais il a quitté immédiatement l’hôpital pour leur venir en aide. Il leur a dit de se rouler dans des couvertures et de se cacher sous les lits et d’attendre : huit heures qui furent longues. Cet homme échangeait des sms avec elles pour les soutenir, et il est parti voir les militaires, un de leurs chefs à accepter de venir. Ils ont mis au point toute une stratégie : se mettre à tirer sur le devant de la maison pendant que les filles s’enfuiraient par l’arrière de la maison et le jardin. Le militaire a pu les aider une après l’autre à passer le mur et à être en sécurité. Deux heures après, les quatre hommes de Daech se faisaient sauter.

Le lendemain, en route pour Karakoch avec l’évêque syriaque catholique. Une ville de 60 000 habitants prise fin octobre après des combats et des frappes aériennes. La ville est une ville fantôme, un détachement de militaires assure la sécurité de la ville. Toutes les maisons ont été défigurées, en partie brûlées, dans les églises les terroristes se sont acharnés sur les croix, les statues, cassant et brûlant tout ce qu’ils pouvaient trouver. J’ai eu la joie de célébrer avec l’évêque syriaque la messe dans l’église de l’Immaculée au milieu des gravats, un groupe de militaires est venus vivre l’eucharistie avec nous et ensuite ils nous ont pilotés dans la ville et les environs. Nous avons visité le séminaire et la résidence de l’évêque dans le même état que tout le reste de la ville. Comment rester insensibles devant de tels spectacles  ?
Toujours à Erbil, nous avons rencontré le patriarche chaldéen Monseigneur Sako, deux évêques syriaques, les frères dominicains et des sœurs dominicaines et une deuxième communauté de petites sœurs de Jésus.

Durant ces quelques jours, nous étions pilotés par Carine Neveu, une laïque consacrée de l’Agneau qui travaille dans un camp et dans une école pour apprendre aux enfants à prier et à découvrir la présence de Jésus en eux et dans le Saint-Sacrement.
Je reste émerveillé par tous ceux et celles qui se dévouent corps et âmes au service de leurs frères, rayonnant la joie et la paix de Jésus, je porte douloureusement la souffrance de toutes ces familles qui s’interrogent sur leur avenir : quelle espérance  ? Partir, mais c’est un rêve, rester mais qui assurera notre sécurité : beaucoup ont connu deux ou trois exodes depuis trente ou quarante ans  ! Je ne pouvais que les prendre dans ma prière et leur dire mon désir de communier à tout ce qu’ils vivaient.

J’ai pu rencontrer Monseigneur Gollnisch qui dirige l’association “Chrétiens d’Orient” et qui grâce à votre aide à tous peut participer à de nombreuses opérations de mises en place de camps de réfugiés et maintenant aux premières opérations de reconstruction dans les villages dévastés de la plaine de Ninive. L’AED et de nombreuses associations et ONG sont à pied d’œuvre et cela fait chaud au cœur de voir tous les volontaires qui œuvrent pour apporter leur aide à tous leurs frères d’Irak, chrétiens ou musulmans, sans oublier les minorités contre lesquelles DAECH s’est déchaîné.

Ensuite, nous étions accueillis à Baghdad par Monseigneur Jean Sleiman, archevêque des latins, une toute petite communauté disséminée dans tout le pays. Là encore, joie de découvrir deux consacrées qui accueillent sans aucune aide plus de cinquante femmes âgées abandonnées  ! Ailleurs une autre maison de personnes âgées, où les sœurs de Mère Térésa, avec leur joie au milieu des enfants atteints de handicaps qu’elles accueillent et réconfortent.
La situation dans la capitale continue à s’améliorer, comme nous le disait un diplomate : nous sommes passés de mille morts par mois à trois cents par mois  ! Il ne faut pas se trouver au mauvais moment à l’endroit où un véhicule ou des terroristes se font sauter. Les contrôles se multiplient en ville et près des points stratégiques.
Nous avons été prier dans l’église chaldéenne où des chrétiens et deux jeunes prêtres ont été assassinés en 2010. A cette époque, nous avions participé à l’action de l’AED pour réparer l’église.
Nous avons pu toucher du doigt la joie de Monseigneur Jean Sleiman d’avoir notre visite. Il vit seul dans son évêché, sans aucun prêtre diocésain dans son diocèse immense et avec quand même quelques religieux.

Je m’arrête, mais je peux vous dire à tous que je reviens transformé par cette immersion de quelques jours au milieu de mes frères et sœurs réfugiés, les yeux pleins de toutes les merveilles dont j’ai été le témoin, avec monsieur Olivier Lefrançois qui m’accompagnait pour assurer un reportage photographique que vous pouvez revoir sur le site du diocèse.

+ Jean-Pierre Cattenoz, archevêque d’Avignon